Ou l’effet de réseau de data comme levier de transformation du modèle économique

Londres, avril 2017. Nous sommes 6 : 2 adultes et 4 enfants. Quand vous êtes dans les rues de Londres avec 4 ados en folie, la priorité, c’est de ne pas les perdre parmi les millions de touristes. Alors passer notre temps le nez dans un plan du métro, bof. Jusqu’à ce qu’un londonien nous conseille (comme une évidence) de télécharger l’appli Citymapper. Et là, c’est la révélation ! L’appli qui transforme nos vacances : non seulement le problème de transport est résolu, mais les trajets deviennent même un évènement ludique. Prendre un bus rouge du bon côté de Baker Street en sachant exactement à quelle heure il va passer ? Elémentaire !

Point de départ : l’usage

Citymapper a été créée en 2011 par un ancien de Google, à Londres justement. Il est parti du principe qu’il était compliqué pour les citoyens de se déplacer en ville à cause du manque d’informations. Il a donc eu l’idée d’utiliser le pouvoir des applications mobiles, combiné à celui de l’open data des transports, et ainsi de proposer « l’appli qui simplifie la ville ».

Il met alors sur pied une offre simple, à travers un service complet : vous trouvez sur l’appli toutes les infos dont vous avez besoin pour vous rendre quelque part, en temps réel.

Pour innover, il faut créer de la valeur ; et clairement, il adresse d’un seul coup plusieurs problèmes d’ordre fonctionnel : information, gain de temps, simplification, réduction du risque, organisation, connexion, intégration, réduire les tracas, etc.. Bref, il répond au besoin, de façon simple et actionnable.

L’humain derrière l’algorithme

Et pour répondre à ce besoin, il va développer une application technologique, dopée à la data, et génératrice de data.

  1. il utilise d’abord l’open data des régies de transports et des villes lorsqu’elle est disponible
  2. il collecte aussi les données comportementales des utilisateurs de l’appli : trajets, arrêts, durées, géolocalisation, etc.
  3. et puis, il recrute les « héros » : des volontaires, fans de Citymapper, qui renseignent bénévolement dans l’appli des informations du genre « où se placer dans la rame pour optimiser un changement de métro ». Ainsi par exemple il arrive à recenser les Peseros de Mexico, innombrables minibus privés non catalogués nulle part. Et à Istambul, ville sans open data, il recense les bouches de métro. Du « crowdsourcing de data ».

De l’effet de réseau à l’effet de réseau de données

S’appuyer sur l’humain présente d’autres avantages :

  1. en premier lieu, l’effet de réseau, qui est le phénomène par lequel l’utilité réelle d’une technique ou d’un produit dépend de la quantité de ses utilisateurs. Ex: facebook, twitter, airbnb. Ainsi, avec très peu de dépenses marketing, il réussit l’exploit d’être installé sur plus de 50% des téléphones londoniens en 2 ans seulement, grâce au bouche-à-oreille et aux héros.
  • Ce qui va lui permettre ensuite d’actionner l’effet de réseau de données : plus il y a d’utilisateurs, plus il y a de données, meilleur devient le service.

Grâce à tout cela, il peut alors étudier le passé, le présent, et commencer à faire des prédictions pour imaginer de nouvelles solutions.

« Lean testing »

Il crée ensuite une plateforme interne de simulation de lignes de bus, qui lui permet de créer des trajets et d’en étudier les conséquences en terme d’utilisation, de comportements, etc. L’outil va automatiquement définir les stops, et prédire qui va monter, descendre, où et quand. Il devient capable de dire quelles nouvelles lignes doivent être créées, et comme il peut simuler leur utilisation, il peut estimer leur rentabilité : c’est la première partie de la phase expérimentale.

Seconde étape, la mise en place d’un bus gratuit dans Londres pendant 2 jours afin de tester le parcours identifié via la plateforme, en attendant le tampon de la régie des transports de Londres (Transport for London, TFL). Il teste également des évolutions technologiques sur l’appli, avec un gobot, des APIs & widgets pour les sites internet et mobiles des commerces, du langage naturel, etc..

Administration vs innovation : 1-0

Et l’équipe de Citymapper de se heurter aux obstacles réglementaires : un week-end après la mise en marche du bus, ils décident de modifier l’itinéraire en fonction des premières données du conducteur. « Nous avons dû attendre des semaines avant que notre changement ne soit accepté » (par Transport for London), écrit l’équipe. “Il est difficile d’innover en devant respecter de tels délais.”. Cela revenait à essayer d’utiliser des données en temps réel pour améliorer un service de bus à « itinéraire fixe ». Devant le risque de ne pas pouvoir adapter les circuits assez rapidement de façon dynamique, Citymapper renonce alors à opérer des bus.

Ça y est, Citymapper n’est plus juste une appli, c’est un opérateur de bus : la société lance son premier service de bus commercial quelques mois plus tard pour desservir l’Est de Londres la nuit pendant le week-end : le CMX1.

 

Vers la Mobilité as a Service (MaaS)

Mais qu’à cela ne tienne : en 2018, ils obtiennent une licence de TFL pour opérer un service de taxis partagés et ils créent « SmartRide, un réseau, pas un itinéraire ». Et cela alors même que la capitale britannique avait décidé en sept 2017 de bannir Uber. Les minicabs ne peuvent pas transporter plus de huit personnes selon les règles de TFL, mais eux, sont autorisés à opérer sur des itinéraires variables. L’offre évolue alors vers une offre de mini-vans mutualisés, toujours basée sur la complémentarité avec les services existants, mais cette fois-ci sur une définition dynamique des trajets en temps réel. Comme il s’agit de transport en commun, des arrêts de bus (arrêts de ramassage) existent toujours et servent à coordonner plusieurs passagers. Étant donné que toutes les réservations nécessitent l’application, ils peuvent associer les bons véhicules aux bonnes personnes en temps réel. La technologie distribue et affecte les chauffeurs à des quartiers de la ville en fonction de la demande. Et ils peuvent réagir en temps réel aux fermetures de routes et autres défis des systèmes de transport en commun, tels que les perturbations ou les grèves.

L’appli intègre bien sûr aussi le paiement, et le prix défie toute concurrence.

 

Voir les choses en grand

2019. Citymapper opère dans 39 villes dans le monde et annonce le lancement à Londres de son offre de MaaS, portée par sa propre carte de transports.

Les abonnements donnent accès en illimité aux bus, métro, vélos en libre-service Santander, et à un certain nombre de trajets avec le service Ride. Bientôt seront inclus d’autres modes de transports : VTC, trottinettes, scooters, voitures sans permis, et autres véhicules flottants… Et au-delà de l’accès au multimodal grâce à un seul abonnement, ils s’attaquent maintenant au « routage pour le transport flottant » en complément de leurs offres dynamiques temps réel déjà existantes.

La révolution du transport flottant selon Citymapper

L’ambition est mondiale : à mesure qu’ils étendront leur offre à d’autres villes, ils visent un avenir où un seul et même abonnement fonctionnera partout à travers les villes concernées dans le monde.

De l’application mobile au « global MaaS ».

 

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