Ruée vers l’or en 1848, ou ruée vers les plateformes en 2001 : même combat

 

Ruée vers l’or (1): La ruée vers l’or en Californie a commencé le 24 janvier 1848, lorsque James W. Marshall a découvert de l’or à Sutter’s Mill, à Coloma, en Californie. La nouvelle de sa trouvaille a attiré environ 300 000 personnes en Californie depuis le reste des États-Unis et de l’étranger. (...)

Ce que je vais appeler ici la « ruée vers les plateformes » est un raccourci pour illustrer l’enthousiasme des entreprises pour les modèles commerciaux, systémiques et technologiques de plateformes, qu’elles soient d’intermédiation, de commerce, de production, ou autres. Cette tendance a surgi le 9 janvier 2001 lorsque Apple a annoncé iTunes. La naissance de ce nouveau modèle a suscité les désirs d’autres pionniers de la Silicon Valley tels que Amazon, Google, Salesforce, Facebook, etc. Certains de ces pionniers n’étaient encore que des start-ups, d’autres déjà de grandes entreprises, rêvant tous de devenir la prochaine plateforme de référence sur leur marché. Aujourd’hui, alors que la valorisation financière de quelques licornes ayant adopté ce modèle a explosé, devenir une plateforme reste plus que jamais l’objectif le plus convoité, qu’il s’agisse d’une start-up, d’une entreprise de taille moyenne ou d’un grand groupe. Qui ne veut pas devenir l’Amazon de la mobilité, le Uber de la santé, ou même l’iTunes du sport?

Le modèle de Plateforme est devenu le nouvel El Dorado de l’entreprise.

 

De techniques simples, à des méthodes plus sophistiquées

Ruée vers l’or (1): au début de la ruée vers l’or, il n’existait aucune loi concernant les droits de propriété sur les gisements aurifères (…). Les prospecteurs ont récupéré l’or de ruisseaux et de lits de rivières à l’aide des techniques simples de l’orpaillage artisanal. Bien que l’exploitation minière ait causé des dommages à l’environnement, des méthodes plus sophistiquées de récupération de l’or ont été développées et ensuite adoptées dans le monde entier. (…)

Ruée vers les Plateformes : dans les années 80, certaines entreprises utilisaient déjà des modèles de plateforme, comme par exemple des constructeurs automobiles japonais et allemands qui avaient mis au point des voitures modulaires construites sur une architecture commune. Mais avec l’avènement de la technologie et du numérique, ces modèles ont pu se développer bien au-delà de ce que pourrait faire une entreprise traditionnelle, et bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer (sauf si vous vous appelez Steve ou Jeff). Bien que les deux concepts soient généralement confondus, il est essentiel de faire la différence entre le modèle commercial de la plateforme, et la plateforme technologique qui le sous-tend. J’irai jusqu’à dire que l’aspect technologique est la partie la plus facile, et qu’elle ne sera d’aucune utilité sans le bon modèle commercial. Aujourd’hui encore, les modèles commerciaux de plateforme ne sont pas bien maîtrisés, bien que certaines études aient permis d’identifier les mécanismes clés qui nécessitent d’être activés lors de la création, ou du pivot vers un modèle de plateforme.

Alors de quoi parle-t-on? Prenons la définition du Pr Mendelson de la Stanford Graduate School of Business: «Une plate-forme est une architecture de modèle d’entreprise qui comprend un noyau commun, ainsi qu’un ensemble de règles permettant à des composants supplémentaires d’être ajoutés et connectés, afin de créer l’offre complète destinée aux clients finaux. Ces règles incluent des normes techniques, ainsi qu’une cadre et des contrats qui régissent les utilisateurs de la plateforme. »

Les modèles commerciaux de plateforme peuvent être divisés en deux catégories : les plateformes d’Intermédiation (Exchange) et les plateformes de Production (Makers). Et chacune peut être divisée en plusieurs sous-catégories qui sont illustrées ici par Applico:

Dans les deux cas, la valeur créée comporte de multiples aspects : facilité de connexion et de transaction, visibilité sur l’offre et la demande, montée en gamme et constance de la qualité, accès au marché, diminution des difficultés, etc.

Plus précisément, une plateforme d’intermédiation facilitera les échanges directs entre les fournisseurs et les clients (« un vers un »), tandis qu’une plateforme de production permettra à un créateur (au sens large) d’atteindre un très large public (« un vers plusieurs »).

Par exemple, PayPal facilitera les paiements sécurisés et les transactions financières entre acheteurs et vendeurs (« un vers un »), tandis que YouTube permettra aux producteurs de vidéos d’atteindre un public de masse, ou aux téléspectateurs d’avoir accès à un large éventail de vidéos (« un vers plusieurs »).

Les progrès technologiques et les financements

Ruée vers l’or (1): à son apogée, les avancées technologiques ont atteint le point où un financement important était devenu nécessaire, augmentant ainsi la proportion de sociétés aurifères par rapport à celle des mineurs indépendants.

Ruée vers les Plateformes : c’est parti pour le problème de la poule et de l’œuf…

Pour atteindre ses objectifs, la plateforme doit créer une offre et une demande de masse : il faut que les acheteurs rejoignent la plate-forme, et que les fournisseurs agissent de même. C’est ce qu’on appelle l’effet de réseau : plus d’acheteurs = plus de vendeurs = plus d’acheteurs = plus de vendeurs, etc. Ce cercle vertueux peut être mondial, régional ou local, et il existe des techniques de marketing, que je ne vais pas détailler ici, pour amorcer cette pompe. Mais un vœux pieu ne va tout simplement pas suffire…

Et là encore, la technologie peut aider à transformer une pépite en bijou : les techniques de marketing qui déclenchent l’effet de réseau peuvent être multipliées par la technologie via l’effet de réseau de données : plus d’utilisateurs = plus de données ; plus de données = de meilleurs algorithmes ; ce qui signifie de meilleurs produits ou services, et donc plus d’utilisateurs, plus de données, etc.

Ainsi, les données sont un élément essentiel pour les modèles commerciaux de plateforme ; mais être capable de collecter ces données sans être nécessairement rentable, nécessite un financement important pour pouvoir tenir le cap pendant la collecte. Ces financements sont donc devenus un facteur clé de succès pour les entreprises qui se lancent dans cette aventure, et un facteur qui peut constituer une réelle barrière à l’entrée.

De nombreux appelés, mais peu d’élus

Ruée vers l’or (1): de l’or valant des dizaines de milliards de dollars américains a été récupéré, ce qui a permis à quelques-uns de gagner beaucoup d’argent, même si beaucoup de ceux qui ont participé à la ruée vers l’or en Californie, ne gagnèrent finalement guère plus que ce qu’ils avaient quand ils ont commencé.

Ruée vers les Plateformes : aujourd’hui, les entreprises qui choisissent un modèle commercial de plateforme, ne se concentrent pas sur la rentabilité, mais sur la part de marché et les données qu’elles sont en mesure de collecter sur ce marché :

    • prenons l’exemple de Citymapper, qui a levé 50 millions USD depuis 2014 et qui n’a généré aucun revenu pendant 5 ans: selon ses investisseurs en capital-risque, l’objectif était de collecter des données sur le transport, puis de décider qu’en faire.
    • prenons Uber, toujours en train de perdre de l’argent, mais sa valorisation était estimée à 72 milliards USD fin 2018! Et Didi Chuxing à 56 milliards de dollars USD en seulement 4 ans après sa création (3). Pourquoi? Parce qu’ils possèdent d’énormes quantités de données sur l’offre et la demande de transports privés.
    • prenons Uber, toujours en train de perdre de l’argent, mais sa valorisation était estimée à 72 milliards USD fin 2018! Et Didi Chuxing à 56 milliards de dollars USD en seulement 4 ans après sa création (3). Pourquoi? Parce qu’ils possèdent d’énormes quantités de données sur l’offre et la demande de transports privés.
    • prenons la capitalisation boursière de 45 milliards USD de Tesla, contre 47 milliards USD pour General Motors et 37 milliards USD pour Ford (3): Tesla a vendu environ 95 000 voitures par an en 2017 contre 9,6 millions de voitures pour General Motors (2); mais les voitures de Tesla sont bourrées de capteurs collectant des données; d’où la valorisation astronomique.
    • Airbnb ne possède aucun hôtel, mais sa valorisation est estimée à environ 29,3 milliards USD (4). Pourquoi ? Même raison que Uber : une connaissance approfondie et détaillée de l’offre et de la demande sur un marché spécifique
    • la valorisation de Toutiao / ByteDance est estimée aujourd’hui à 20 milliards USD. Parce qu’ils collectent des données sur les réseaux sociaux auprès des consommateurs, puis utilisent des algorithmes de Deep Learning pour fournir à ces utilisateurs le contenu qu’ils jugeront le plus intéressant (effet de réseau de données)
    • Meicai, une application de vente de légumes en Chine, a recueilli 652 millions USD et a atteint une valorisation de 2,8 milliards USD en seulement 3 ans; l’un des tous derniers acteurs émergents visant à perturber les activités de vente au détail traditionnelles, en éliminant les intermédiaires. En desservant près de 10 millions de restaurants et de magasins de légumes en Chine, la société dispose désormais d’une immense quantité de données de consommation, et de données agricoles.

    En conclusion, le modèle commercial de plateforme est attractif pour les investisseurs car il permet de collecter des quantités de données. Et les données sont l’or de demain.

    Mais pour quelques licornes, combien de jeunes entreprises ont appris à leurs dépens que ce modèle est hautement concurrentiel et technique ? Les investisseurs spéculent, cherchent le prochain Uber : ils troquent leurs bénéfices à court terme, contre des sorties espérées à plusieurs milliards USD à moyen terme. Cependant, toutes les entreprises ne peuvent pas être des Amazon, Didi ou ByteDance. Et il existe par ailleurs plusieurs autres modèles commerciaux : les entreprises peuvent donc également opter pour des modèles de leadership produit, de proximité client, ou d’excellence opérationnelle ; le plus compétitif de tous les modèles est celui de plateforme, avec de nombreux obstacles à l’entrée. Au bout du compte, il est évident qu’il peut y avoir de nombreux fournisseurs en concurrence sur l’excellence produits ou services, et ceux-ci peuvent très bien réussir, voire devenir leaders sur leur marché, mais il est évident aussi qu’il ne peut y avoir que très peu de places de marchés. Si vous y parvenez, il s’agit par contre d’un marché hautement défendable, avec de nombreuses barrières à l’entrée, dont celle du premier arrivant, et vous pouvez vous retrouver en situation de monopole.

    Un vrai eldorado.

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